11 novembre 2007

Un café et décroissant

La diabolisation du mot décroissance ne cacherait-elle pas tout simplement le manque de courage que nous avons de nous dire les choses une fois pour toutes, sérieusement, solennellement, sans catastrophisme mais sans équivoque ? …

Kenneth Boulding avait eu la clairvoyance* de dire que "celui qui croit qu’une croissance infinie est compatible avec un monde fini, est un fou ou un économiste" (ou s’appelle Jean-Marc Sylvestre ndlr ). Le Club de Rome nous avait déjà dit en 1972 "Halte à la croissance" et Paul Valéry nous avait aussi prévenu que "le temps du monde fini commence", maxime qui fait parfaitement écho à l’impossible équation de la trop grande empreinte écologique de notre mode de vie actuel par rapport à nos ressources.

Ce "mot-obus" de la décroissance est souvent agité comme un chiffon rouge alors que plus personne ne conteste la finitude (j’aime ce mot, c’est mon petit côté Ségo) des ressources fossiles et même fissiles. La production de pétrole aux Etats-Unis est déjà en décroissance depuis les années 70 et chacun leur tour les autres producteurs de pétrole glisseront eux aussi allègrement sur le tobogan du Pic de Hubbert (un autre ami de Dédé). Puisque la décroissance de ces ressources est inéluctable, il nous faut anticiper la pénurie en nous adaptant plutôt que de la subir de plein fouet et vivre une vraie récession. L’urgence du réchauffement climatique nous impose par ailleurs d’en accélerer la baisse de la consommation.

Qui plus est, il n’y a pas de corrélation entre ce qui nous sert aujourd’hui à mesurer la croissance, le PIB, et le bien-être. Tout au contraire, rien de meilleur pour le PIB qu’une tornade, une épidémie, une marée noire ou encore une guerre. En effet, la reconstruction, le nettoyage, les réparations, les soins, … vont générer des biens et services vendus, donc du PIB. Serait-ce cette croissance là qu’on veut "aller chercher avec les dents" tout en reconnaissant que "notre modèle de croissance est condamné" ?

Oser utiliser le mot décroissance c’est peut-être aussi faire la moitié du chemin, faire le deuil d’un modèle dont on a compris les limites et se donner le courage, car il en faudra, de résolument changer de paradigme, par de nouveaux comportements individuels (bien au-delà des éco-gestes, nécessaires mais insuffisants) et des politiques collectives audacieuses.

Oui c’est une révolution, oui c’est une rupture, non ce n’est pas revenir à l’age de pierre car le challenge est bien de ré-imaginer le monde et de faire mieux avec moins à l’instar du scénario négaWatt qui démontre, noir sur blanc, chiffres à l’appui, comment il nous est possible d’atteindre le Facteur 4 (diviser par 4 nos GES, gaz à effet de serre) auquel nous nous sommes engagés pour 2050.

Cette sobriété (heureuse) pourrait devenir le moteur du Bonheur Intérieur Brut ...

* citation que j'avais atrribuée par erreur dans une première édition au pape de la décroissance Nicolas Georgescu-Roegen